Desclozeaux

 

Desclozeaux

 

Michel Ragon, préfaçant un recueil titré L'OISEAU-MOQUEUR, le note avec à-propos : Desclozeaux rime riche avec zoiseaux ... Les couleurs déliées ne font que passer, les traits filiformes se défilent. Au vent de l'actualité toujours pressée, voilà que les feuilles sérieuses d'austères magazines s'éparpillent comme volée de moineaux.
Desclozeaux, sujet léger comme une plume ... Mais la plume est-elle un sujet léger quand la menacent des giclées de plomb ? Frissonnante et dénudée, son pitoyable rameau tout défeuillé au bec, une colombe du Liban, du Salvador ou d'ailleurs nous interroge de son œil hagard.
Qui va la prendre sous son aile ?

Au vu de son thème, c'est bien sûr, le gros barbu un tantinet boudeur qui vient de la dessiner ne demande que ça. En lui s'entremêlent intimement l'aspiration Gémeaux à la liberté naturelle, le désir un peu fou de laisser gambader sa joie de vivre dans un monde sans prison ni barrières, et le souci cancérien de sauvegarder, de protéger, de bercer tendrement le bonheur conquis. Mais que d'acrobaties, que de prodiges funambulesques pour ne sacrifier ni l'un ni l'autre ... Un jour, Desclozeaux se fit photographier la tête en bas, toute sa masse imposante en équilibre sur un seul doigt, posé sur le rebord d'un tout petit verre en frêle et pur cristal.
C'est ainsi que, par la magie de l'ultra-paradoxe, la force de gravité de la situation vous libère de la pesanteur.

Car la situation est grave, il n'est pas permis d'en douter : Soleil/Gémeaux perturbé dans ses projets par les impondérables de Lune-Neptune, et surtout Vénus/Cancer tourmentés par les sombres Pluton et Saturne. D'où la morale implicite de Desclozeaux : le bonheur est fragile et fugace, buvons à sa coupe sans la briser; protégeons-le sans l'étouffer contre les sourdes menaces qui grondent à l'horizon, vivons-le sans le détruire par nos inconséquences brouillonnes. Ne nous fracassons plus à cent à l'heure contre le platane où jadis nous avions gravé nos premiers émois. Ne laissons pas nos monstrueux nids de béton laminer les forêts; nous en serions réduits à ne plus rêver, à chaque automne, que des fausses fausse feuilles en plastique ponctuellement déversées sur nos cités par les tonitruants avions des technocrates aux petits soins ...

Fondateur de la S.P.H, société bien cancérienne d'un humour bien Gémeaux, définissant lui-même m'humour comme "une pirouette dans un congélateur", Desclozeaux se fit comparer par Pierre Etaix à un gros saint-bernard traçant de délicates arabesques sur la neige.
Pudique message de tendresse et d'espoir, défi obstiné aux avalanches glacées qui nous guettent sur les hauteurs. Toujours prêt, notre Desclozeaux, à dégager d'une patte vigoureuse le promeneur enfoui, ce petit gringalet à long nez en saucisse, son dissemblable jumeau, son frère tout tremblotant qui a manqué s'évanouir dans la blancheur de sa page. Le rescapé ne manquera pas d'adresser à son sauveteur un ample salut plein de gratitude, découvrant du même coup l'oiseau libre et moqueur qu'il abritait sous son chapeau.
Un oiseau dont le bec est une plume à dessin, bien entendu ...