Pour ce numéro d'hiver, que diriez-vous d'une petite exploration de la quarte zodiacale du même nom ? Je me suis laissé dire qu'il y avait encore, bien au frais dans la Sibérie profonde, quelques charmant camps de vacances de neige pour agités mentaux de notre espèce.
Bien sûr, pour l'heure, le Capricorne-Poissons Gorbatchev semble plutôt donner dans la liquidation restructurante. Mais c'est rudement dur de liquider en un tournemain les si pratiques structures liquidatrices du Capricorne Staline. Pour la dérision radicale de la structure, voyez plutôt, par exemple, un Capricorne "petit t" du genre de Dimitri. L'avènement médiatique du Goulag, il n'attendait que ça pour faire un malheur dans la BD.
Il faut dire qu'avec un grand R à l'Ascendant conjugué à la faiblesse d'Uranus et de Neptune, l'emballement pour le collectif et le collectivisme ne saurait être de mise. Quant au bien-être de base, une Lune au Fond-du-Ciel en Taureau aspectée par huit planètes ne saurait être indifférente aux atteintes qu'on lui porte. Et surtout, avec l'opposition de Pluton à Soleil-Mercure en signes de totalisation, Dimitri est tout indiqué pour mettre en scène, sur le mode dérisoire, l'individu déboussolé, sans repères, phagocyté par l'anonymat glouton d'une société totalitaire et absurde dont la finalité lui échappe.
Voici donc Eugène Krampon, anti-héros natif de Nogent-sur-Marne et pourtant citoyen à vie du camp 333 du Goulag, auquel il se cramponne avec une constance des plus touchantes. Sans doute parce que les plus puissants des rares aspects harmoniques du thème sont les trigones entre Lune-mars et le R hivernal déboussolé. Le seul équilibre relatif, la seule source de bien-être animal, le seul semblant d'intégration passe par cette situation d'individu désagrégé et néantisé de l'institution-Goulag. L'unique niche écologique "vivable" - pourvu qu'on puisse y croquer des cornichons et faire fik-fik avec la plantureuse Loubianka - est celle qui pourtant vous rend la vie impossible à force de gommer votre personnalité. Tout ceci est très ultra-paradoxal, dites-moi.
Pas de doute, nous sommes bien dans l'univers de l'hiver inadapté, là où la frénésie d'extinction fait perdre le bon sens et le sens du concret. Ainsi, les gentils membres du camp 333 sont tous coiffés d'un seau-éteignoir qui les mure dans l'incommunicabilité et les empêche de voir ce qu'ils ne doivent point voir. Bien sûr, il n'y a rien à voir dans ce coin désertique, mais comme dit Krampon, ça pourrait être tellement mal interpréter par la suite ... En attendant, au lieu d'enfoncer des pieux, on tape à l'aveuglette sur la tête du voisin, ce qui ne fait pas avancer beaucoup le chantier du futur métro local. Décidément, zodiacal ou sibérien, l'hiver est bien la saison des dépenses d'énergie complètement déphasées ...
C'est tout de même aussi, reconnaissons-le, la saison de la lenteur d'inhibition et de son précieux blindage à l'épreuve des pires avanies. Car si le cancérien Paul-Emile Victor perdu dans le grand Nord n'a qu'à résister aux conditions naturelles hostiles, le capricornien Krampon a dû se cuirasser en sus contre les mille rigueurs d'un système social impitoyable. Heureusement pour nous, le flegme caricatural est une source de comique irrésistible ... Krampon n'est point pour autant un ours revêche : R extensif avec Vénus en Verseau, c'est un être liant, amical et prévenant, au langage exquisément fleuri, dont la sérénité optimiste et bon enfant n'est court-circuitée que par les apparitions incendiaires de Loubianka. Carré de Mars/Taureau à Vénus ... qui exacerbe ainsi, avec une outrance savamment exploitée, l'irréductible décalage entre les beaux discours et l'implacable réalité ...