Moisan

 

Moisan

 

Emporté cet hiver par le vent mauvais qui a volé dans les plumes du "Canard", Moisan a laissé un sacré vide dans l'hebdomadaire, un vide à la mesure des amples fresques qu'il y déployait depuis plus de trente ans. Ampleur est bien le mot, celui qui sied le mieux à ce Sagittaire nanti d'une conjonction Lune-Jupiter en Lion et d'un puissant T extensif au grand complet. Au dire des témoins de sa vie quotidienne, Moisan était ce qu'on appelle une nature : tumultueux, tempétueux, haut en couleur et fort en gueule, en deux mots intensément vivant. Et de fait, le trio de l'existence intensive est lui aussi au rendez-vous des dominantes.

Du grand T au petit e, la dynamique énergétique d'ensemble est neptunienne ... mais avec la force de Mars et le tranchant de l'Ascendant Bélier, ce Neptune-là, pas mollasson pour deux sous, a le trident nettement plus belliqueux que la moyenne : les amis de Moisan n'ont pas manqué de le comparer à un corsaire, à un boucanier, à un chevalier partant chaque matin pour la croisade. En somme, le parfait "contre-pouvoir en action" évoqué par Nicola dans son dernier ouvrage. Un océan coléreux qui n'a de cesse de battre en brèche l'orgueil des phares trop imbus de leur mission salvatrice ...

Et sa cible privilégiée, durant onze ans, fut le phare providentiel le plus en vue, le plus "unique", le plus mythique, celui qui dominait de toute sa stature le menu fretin politique de son époque : Charles de Gaule soi-même. Le Soleil/Sagittaire aveugle de Moisan, conjoint au Soleil/Scorpion du Général, avait trouvé là son objet idéal de fascination et de rejet simultanés. C'est ainsi qu'on a pu, l'ultra-paradoxe aidant, qualifier le règne gaullien de moisanesque et Moisan de "super-gaulien dans sa satire anti-gaulliste".

Captivé sans doute par son anti-signe, Moisan se délecta fort aussi avec le cancérien Pompidou, mais ni Giscard ni Mitterrand ne surent par la suite pleinement raviver la flamme de son inspiration. Tandis qu'avec de Gaulle, ça a toujours pété le feu sans faiblir. Il faut dire que le puissant Mars de Moisan est au carré de la rencontre historique des deux Soleils. L'éloquent résultat, conjugué à l'atavisme d'aïeux forgerons, est ainsi décrit par Jean Egen dans "Messieuss du Canard" : "Tous les vendredis, il met le Général à chauffer. Tous les lundis, le le sort du four et le martèle avec entrain pour le transformer en César, en poilu, en coq, en sous-marin, en Dieu, en diable, en hippy, en CRS, en chef de gare, en homme-sandwich, en Notre-Dame de Fatima. Et naturellement en Roi-Soleil ..."

Cocasses bricolages d'un Mars recréateur, d'un Sagittaire associatif, d'un Neptune extrapolant ? Pas seulement : les vigoureux coups de marteau martiens sont acharnés, méthodiques, persévérants. Manifestement, Saturne s'en mêle, un Saturne/Poissons dépourvu de toute complaisance mondaine, dépouillant l'être de ses faux-semblants pour en sculpter la nature essentielle, le labourant de mille sillons pour mieux cerner ce qu'il va devenir. Ses collègues du "Canard" trouvaient parfois qu'il y allait un peu fort dans sa façon de torturer le visage de sa victime favorite. Mais comme le dit son complice André Ribaud : "Moisan n'exagérait pas ... Il anticipait à peine. Quelques semaines plus tard, de Gaulle s'ajustait tout naturellement dans la réalité à la tête que lui avait préparé Moisan."

Alimenté par le petit t de Saturne et Pluton dissonant Vénus, le T du Neptune ferraillant n'a décidément rien de mollement nirvanesque. Il n'est pas de plus vigoureuse indignation que celle d'un libertaire dionysiaque à jamais blessé par le monde comme il va ... ou plutôt comme il ne va pas.