Mordillo

 

Mordillo

 

Guillermo Mordillo, sept planètes en Cancer-Lion-Vierge : encore un exploit spatial signé par l'été ... Base de lancement : très modeste famille d'un pays du tiers-monde, quelque part, là-bas, tout au fond à gauche. Carburant propulseur : gentils dessins goguenards aux couleurs veloutées, sans une parole, pour mieux fracasser en douceur le mur des langues. Objectif atteint par l'humour débloquant : quasiment la planète entière, y compris l'Union Soviétique, dont le rideau de fer lui-même n'a pas pu résister.
"L'homme croit toujours à son avenir. Envers et contre tout. C'est là que pour moi réside sa force."

Mordillo, sans nul doute, a des tas d'excellentes raisons pour l'affirmer. Non seulement il le dit, mais il le dessine. Pour aller piqueniquer en haut d'un piton abrupte, il taille sans faiblir un monumental escalier à même le roc. Pour que vogue son beau navire, il emplit crânement l'océan à sec avec un simple tuyau d'arrosage. Même naufragé sur son frêle radeau à la crête des vagues en furie, pas découragé pour un sou, il continue imperturbablement sa partie de ping-pong. Se qualifiant à juste titre de "pessimiste très optimiste", il a su manifestement tirer parti de son opposition Soleil-Saturne en induction positive, et surmonter brillamment les handicaps les plus lourds ...

D'île déserte en piton isolé, le Mordillo Vierge n'en promène pas moins ce qu'il avoue être son sujet fondamental : la solitude. Bien sûr, comme il s'est pudiquement masqué de rondeur jupitéro-lunaire, on ne le remarque pas tout de suite. Mais regardez bien son Tarzan : encore plus virginien que l'autre, il reste bêtement suspendu à sa liane, dans un espace figé entre sa branche et celle d'une inaccessible Jane. Pour expérimenter l'associativité pendulaire, il lui faudrait le temps de la Balance, le temps de se balancer. Mais la Vierge n'a pas le Temps, elle ne s'occupe que d'Espace. Elle en occupe le moindre recoin avec la frénésie tortillante des intestins, qui n'ont pas un centimètre cube de ventre à perdre, ou avec l'égocentrisme spiralé de l'ombilic du père Ubu. Toutes formes qu'on retrouve à foison dans l'œuvre, qu'il s'agisse de branches, de rails, de routes, ou même d'instruments de musique, et qui compliquent d'autant la rencontre avec l'Autre.

Dans ce pôle diurne de la Vierge, dans cet espace-impasse hyper-inventorié, où l'espoir d'atteindre un Ailleurs trouverait-il place ? Mais voilà Mercure qui s'évade vers le pôle nocturne, vers le transcendant Au-delà du signe. Et c'est au tour de Neptune, voyageur venu de l'impossible, de nous en ramener mille merveilles. Un astronef se pose sur un crâne, une ampoule au bout d'un fil descend du ciel éclairer le naufragé qui lit, le maçon incurve la cheminée d'usine vers la fenêtre de sa bien-aimée. Et qui se cogne malencontreusement le cou contre la lune ? c'est bien sûr la girafe, personnage fétiche d'un Mordillo qui a atteint des sommets - c'est le mot - dans l'art d'accommoder cet animal à la morphologie aberrante entre toutes.

Trompe-l'œil, malices de cadrage, ambiguïté des tailles, des formes et des distances ... Perverti, détourné, truqué, tordu, ludique en diable, l'Espace clos ne s'en remettra pas. En bon Lion, Mordillo nous le disait depuis le début : il y a toujours un moyen de s'en sortir !